Le buveur de souvenirs

22/05/2021


Sur ce buveur de mots au quadrillage serré,

à la marge absente et à la couleur délabrée,

j'ai fait un saut dans mon passé...

C'est ici que tout a commencé...

1

Que j'ai compris que le verbe « Oter »

était pudique, lorsque sur son « o »

j'ai malencontreusement oublié

son fidèle chapeau...

Que la Majuscule en début de phrase,

était le Matin qui se levait,

le Maître ou la Maitresse d'un récit,

d'un paragraphe...

C'est là aussi que mon insolence

a laissé ses premières traces :

« Je ne dois pas envoyer le ballon

dans la tête de mon copain. »

Ce n'est pas grave... il était aveugle,

il n'a jamais su que c'était moi...

C'est ici que j'ai également écrit mes

premiers roulages de pelles :

« Camille je t'aime je veux t'embrasser ! »

et où j'ai subi également mes

premiers râteaux :

« Rêve toujours, je t'aime pas. »

Bref, j'ai compris que le jardinage

ce n'était pas pour moi

Mais bon comme on dit :

« Qui ne se plante pas n'a

jamais de chance de pousser. »


2

Arrivé au collège,

on me demande toujours

de mettre le chapeau

sur le verbe « ôter »

mais cette fois, c'est à

moi qu'on demande de l'enlever :

« Pas de casquette dans les couloirs ! »

Je n'oublie plus la majuscule

en début de phrase

mais cette fois, c'est moi

qui ne suis pas du Matin...

C'est toujours sur ce même papier que

j'ai écrit mes lettres d'amour de façon

plus délicate et plus distinguée :

« Camille, j'ai des sentiments pour toi,

je t'aime. Voudrais-tu un jour, poser

tes lèvres délicates sur le miennes ? »

En grandissant, les râteaux sont plus violents :

« Non, garde ta salive pour toi. »

Les punitions ont monté d'un niveau également :

« Renvoie de 4 jours pour avoir fait exprès d'envoyer

le ballon dans la tête d'un de ses camarades. »

Youpi, 4 jours sans aller à l'école !

Que j'étais naïf...


3

Arrivé au lycée, tout a été différent.

Le verbe « ôter » s'est accordé avec le verbe « aimer. »

Le "petit chapeau" n'était plus positionné vers le haut,

mais vers le bas...

lorsque sans avoir eu besoin de lettre d'amour,

amoureux je suis tombé...

J'ai compris que la Majuscule, désormais, c'était moi pour

être Maître de chaque nouveau chapitre de ma vie.

Les punitions ne ressemblent plus à celle de l'enfance.

Cette fois, c'est toi qui assumes tes choix, tes erreurs,

qui prends tes responsabilités.

Et si c'était ça, devenir adulte ??


4

Aujourd'hui j'ai 40 ans.

J'ai retrouvé ce papier où j'ai commencé à

conjuguer « vivre » plutôt qu' « exister ».

A donner la parole à mes maux, corps

encombrés à qui j'avais demandé de se taire,

de se faire oublier.

J'ai continué de me prendre quelques râteaux mais

j'ai appris à jardiner :

On n'arrache pas une fleur à son jardin.

On prend soin de l'arroser et de la laisser grandir

dans un environnement sain.


La nostalgie transpire sur ce papier où l'auréole

de ma jeunesse apparaît ; où le quadrillage est serré,

la marge absente et la couleur toujours délabrée...

Je replie mon passé et le range dans son tiroir poussiéreux

qui m'a fait éternuer d'émotions et piquer un peu les yeux...


Et sous l'effervescence de ce retour en enfance, je vais donner

un bon coup de pieds dans le ballon du jardin... BOUM !

Ou plutôt dans la tête de mon voisin... Oups... je ne l'avais pas vu...

Ce n'est pas grave... il est aveugle, il ne saura pas que c'est moi...


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